La série Nola Darling (she’s gotta have it), tranche radicalement avec ce qu’on a l’habitude de voir sur nos écrans. Dans cette série inspirée du film du même nom, Spike Lee maîtrise parfaitement son art. Nola Darling, c’est la protagoniste du siècle. À elle seule, elle révèle au grand jour les tribulations et les ambivalences d’une jeunesse aspirante à de grandes choses, mais qui se heurte à la réalité de l’époque. Une jeunesse qui doute de tout et est nostalgique du temps de ses parents. Cette série que l’on peut qualifier de coming of age story nous plonge dans le quotidien de Nola une artiste aussi talentueuse qu’ambitieuse. Nola Darling est l’un des rares reboots qui fonctionne, le tout dans une atmosphère funk, et hip-hop. Nous comprenons que Nola Darling n’en fera qu’à sa tête.
Nola Darling, est indépendante, pansexuelle et ne pratique pas la monogamie. Elle refuse catégoriquement les étiquettes et ne se définit que par elle-même. Cette rébellion à toute injonction et soumission à l’autre s’articule dans un premier temps autour de sa vie amoureuse. Nola à trois amants. L’homme d’affaires Jamie Overstreet. Le photographe Greers Childs. Le coursier à vélo Mars Blackmon. Ce personnage du coursier est d’ailleurs interprété par Spike Lee dans le film. Les trois hommes seront rapidement rejoints dans trio amoureux, par une femme, la fleuriste Opal. Ces quatre personnes ont tous ont un point commun : ils essaient parfois de la posséder. La dynamique amoureuse de Nola met en lumière une réalité juste pour la femme noire : celle-ci doit constamment poser les conditions de son indépendance, comme si, ce qu’elle voulait n’était pas acquis de droit. Nola se doit d’être vigilante pour continuer à jouir de sa liberté. Cette liberté est représentée par ce qu’elle appelle “son lit d’amour”. Dans ce lit qu’elle partage tour à tour avec ses amants, Nola est la maîtresse du jeu, c’est elle qui dicte les règles. En dehors de cet espace, Nola cache une grande vulnérabilité que l’on retrouve dans son art et dans la façon dont elle se considère en tant qu’artiste. Elle tente donc par tous les moyens de cacher ce qu’elle estime comme une faiblesse par une détermination sans limite qui la rend parfois égocentrique et extrêmement bornée aux yeux des autres.

L’artistique, le culturel et le politique
L’art est l’une des thématiques centrales de la série. Nola est une jeune artiste plasticienne noire, qui peine à trouver sa place dans le monde de l’art new-yorkais. Nola ne maîtrise pas les codes qu’elle tente déjà de s’en affranchir. Sa position d’outsider donne une force et une certaine fragilité à son art. C’est ce qui fait que Nola passe une bonne partie de son temps à vouloir créer l’œuvre parfaite. En réalité, Nola Darling ne devient une vraie artiste qu’à partir du moment où elle accepte ses doutes et cette fragilité. Lorsqu’elle s’accepte enfin, elle se sert de son vécu pour façonner « un art de l’imparfait » comme le définit Malraux. L’art de Nola Darling est aussi politique, son travail prend position contre le racisme, la misogynie, la misogynoir, l’homophobie et la transphobie. Les créations artistiques du personnage de Nola Darling qui apparaissent sur l’écran sont produites par une artiste new-yorkaise Tatyana Fazlalizadeh. Les oeuvres du personnage de Nola sont donc publiés sur son profil Instagram.

Au-delà des tribulations de son héroïne et le focus sur l’art visuel, Spike Lee propose une véritable immersion sonore. La musique sert la narration. Les épisodes sont accompagnés d’une bande sonore qui donne le ton pour la suite des événements. Par épisodes, on découvre des titres tout aussi fabuleux les que les autres. Certains morceaux utilisés sont retranscrits à l’écran avec les paroles. Pour d’autres, Spike Lee entrecoupe certaines scènes avec des pochettes d’album. Il propose une bibliothèque musicale du monde noir états-unien des années 80, 90. Toutefois, on observe qu’il y a un choc entre les références musicales de Spike Lee et l’unité d’action contemporaine où se déroule la série Nola Darling. Ce fossé générationnel est une déclaration d’amour de Spike Lee à son époque. Voici donc quelques albums qui apparaissent au fil de la saison 1 :







Le travail de monsieur Lee derrière la caméra est aussi fascinant. C’est audacieux. C’est, peut-être, un peu trop. Mais il permet de plonger l’audience au cœur de la narration au plus près du sujet. Les références culturelles s’enchainent elles aussi, les unes aux autres : Notorious B.I.G, Jay Z, Lena Horne ou encore Chris Rock, James Baldwin, Jean-Michel Basquiat, Malcolm X pour ne citer que les plus connus.

Les références culturelles non seulement ancrent la série dans le réel mais permettent une double lecture de la série. Déjà en 1986, quand Spike Lee sort le film She’s gotta have it, il retourne et bouleverse le cinéma indépendant par ses prises de positions. Avec la série, Spike Lee signe et persiste sa remise en cause de l’Amérique. La série ne cesse de critiquer l’état de l’Amérique actuelle, et fait état de la polarisation de la société américaine. On est contre l’élection de Trump et la montée du racisme. D’un côté, il y a les Trumpistes et de l’autre côté, il y a les autres. C’est une Amérique qui ne s’écoute plus et ne s’entend plus. À la fin de l’épisode 1, comme pour marquer son point de vue le hashtag #BlackLivesMatter s’affiche sur un écran de fond noir.
Mais Nola Darling, c’est aussi une ode à la culture noire. Son personnage de Nola est une femme noire qui sait d’où elle vient. Elle connait son patrimoine culturel et n’hésite pas à s’y plonger pour s’en inspirer. Au-delà des références artistiques et philosophiques, les épisodes sont aussi truffés de références et de déclarations d’amour pour le quartier de Fort Green à New York. Nous devinons très vite que le sujet de la série ce n’est pas Nola, mais aussi l’essence même du quartier où elle vit.
Tout au long de la série, Fort Greene devient un véritable personnage de l’histoire.

Ode à Fort Greene
Fort Greene est situé dans la partie ouest du quartier noir de Brooklyn, l’une des plus grandes zones urbaines noires contiguës des États-Unis. Un processus de gentrification du quartier est commencé dès 1960. À travers ses personnages et les mises en situations Spike Lee prend position contre cette gentrification toujours plus active. Cette revendication dans la série fait un lien direct avec les prises de positions de Spike Lee.
« Then comes the motherfuckin’ Christopher Columbus Syndrome. You can’t discover this! We been here. You just can’t come and bogart. There were brothers playing motherfuckin’ African drums in Mount Morris Park for 40 years and now they can’t do it anymore because the new inhabitants said the drums are loud. »
Discours de Spike Lee en 2014 à Pratt Institute
L’histoire donne raison à Spike Lee, le Fort greene du XXIème siècle n’a rien avoir avec le Fort Greene du début duXX siècle. À cause de la hausse du coût de l’immobilier, la population initiale à déserter le quartier pour laisser la place à ce que l’on appelle aujourd’hui « le nouveau Fort Greene ». Ce qui reste du quartier se sont ces Townhouses, où habite Nola. Tout au long, de la série Spike Lee ne cessera de critiquer cette gentrification ouvertement oude façon plus modéré.
Dès l’épisode 2 le propos est posé très clairement. Lorsque Mars rend visite à Nola à Fort Greene, tout de suite une des voisines de Nola lui fait sentir qu’il est n’est pas bienvenue. Elle menace d’appeler la police. Durant cette altercation verbale entre les deux Mars lui dit « vous n’êtes pas de Brooklyn, moi je suis de Brooklyn. On a toujours été là et on sera toujours là ». Une autre scène passe par le rire pour évoquer la gentrification du quartier. Lorsque Nola et ses amies veulent aller boire un verre, elle se retrouve dans un café, bar un peu bohème avec des boissons au nom étrange et au mélange loufoque. Même si les amies décident de rester, toutes se plaignent de ne plus retrouver leur « bon vieux New York ». À travers le personnage de l’artiste SDF, Spike Lee choisit aussi de célébrer le quartier et les gens qui le rendent toujours authentique. Une façon pour lui de dire que Fort Greene sera toujours Fort Greene peu importe ce qui se passe.
Dans cette série haute en couleur, M. Lee montre une nouvelle fois tout son talent de scénariste. Il démontre que la fiction est politique et que même une oeuvre adaptée pour la télévision peut prendre une autre dimension que le divertissement.