Musique en série : Raconter le Hip-Hop à la télévision

À l’occasion de la sortie de la minisérie Le Monde de Demain (2022) ce vendredi sur Netflix, on se penche sur la représentation du hip-hop à la télévision. Pour ce faire, la rédaction propose un regard croisé entre la série française Le Monde de Demain et la série américaine The Get Down (2016). Ces deux séries sont complémentaires. Toutes deux entreprennent de raconter une histoire aussi complexe que fascinante : le début du Hip-hop. Que ça soit dans le New York des années 1970, ou en région parisienne dans les années 1980-90, l’émergence du Hip Hop se raconte à travers la vie, l’art, la musique et la danse. Les deux séries se complètent si bien qu’on peut envisager de les visionner l’une à la suite de l’autre.

La minisérie Le Monde de Demain suit la jeunesse populaire française qui tente de se faire une place dans une industrie musicale fermée. La série se déroule entre 1983 et 1991. Elle reconstitue les débuts de quatre pionniers de la scène rap française : le début du groupe de rap NTM de JoeyStarr, Kool-Shen et leur Beat-Maker. Le début de la carrière chaotique du DJ Dee Nasty, auteur du premier album rap en France, Paname City Rappin‘ (1984). Le parcours de la graffeuse et danseuse de NTM Viviane Scullée alias Lady V. The Get Down quant à elle retrace la genèse de la culture Hip-hop à New York à travers un groupe d’adolescents :Ronald Kippling surnommé Rara, MilesKippling dit Boo-boo, Marcus Kippling alias Dizzee ainsi que leur ami Ezekiel, la charmante Mylene Cruz et Curtis alias Shaolin Fantastic. La série met en relation la fin de l’époque disco et le début d’une nouvelle ère musicale. Mylene Cruz est l’étoile montante du disco pendant que Ezekiel est un MC en devenir. Accompagné de son ami le DJ, Shaolin Fantastic, Ezekiel tente de créer son propre groupe de rap.

Mélange entre réalité et fiction

Raconter le début du hip-hop c’est aussi raconter vouloir retranscrire l’époque dans laquelle ce genre émerge. Le Monde de Demain et The Get Down réussissent ce tour de force. Elles réussissent à retranscrire l’effervescence de l’époque. Pour ce faire elles s’ancrent dans le réel en cherchant à retranscrire la réalité sociale de l’époque.

Dans The Get Down les pionniers du Hip-Hop, le DJ Afrikaa Bambaata, le DJ Cool Herc et le DJ Grandmaster Flash n’apparaissent jamais à l’écran. Pourtant les personnages évoluent dans la même temporalité que ces grands noms. Le Monde de Demain quant à elle opte pour un autre style narratif. La série est un biopic croisé. Les scénaristes n’hésitent pas à recréer les évènements iconiques de l’histoire du rap français tels que les débuts de Dee Nasty à radio Nova ou encore la première performance de NTM dans cette même radio en 1994. Les faits de société sont aussi respectés et mise en scène dans la série, ou réutilisé comme tel. Les séquences des JT lors des émeutes de Paris de 1995 sont réutilisées, le sujet du JT sur la mort de Malik Oussekine est également utilisé. Ces faits de société sont importants car ils nourrissent les textes du groupe NTM. En mettant en scène ces évènements dans la fiction, le spectateur comprend à la fois le processus créatif du groupe et les tensions qui façonnent le rap français dans les années 1990. The Get Down utilise les faits historiques pour servir la narration et faire avancer l’intrigue. On retrouve donc dans la narration la panne de courant de 1977 qui plonge tous les quartiers new-yorkais sauf celui du Queens dans le noir les 13 et 14 juillet 1977. Ce mélange entre réalité et fiction donne une force indéniable au récit. Le spectateur semble pris dans l’engrenage narratif.

La justesse des évènements à l’écran vient aussi du fait que les scénaristes collaborent étroitement avec les véritables artistes de l’époque. JoeyStarr était consultant sur le plateau du Monde de Demain. Le DJ Grandmaster Flash a travaillé pendant deux ans à la préparation de The Get Down.

Culture Hip-Hop : DJ, MC et Break-Dancer

Dans ces deux séries, les scénaristes prennent soin de rendre compte de la complexité de la sous-culture hip-hop. C’est pourquoi avant de s’intéresser à la musique les personnages principaux s’insèrent l’univers hip-hop par d’autres moyens. Avant le rap, Bruno et Didier se sont d’abord essayés au breakdance.

Bruno ( Kool-Shen) au centre de la photo et Didier (Joey Starr) à droite de la photo qui dansent. Scène tirée de l’épisode 2 de la série

Bruno et Didier s’initient aussi à l’art urbain : le graffiti. Curtis dans The Get Down passe aussi par l’art du graffiti avant d’abandonner à la lumière de sa nouvelle passion, le scratch djing, prenant exemple sur son idole et mentor, Grandmaster Flash. Il deviendra DJ Shaolin Fantastic. Mais cette culture du graf n’est pas pour autant délaissée dans la série. Elle est développée en profondeur à travers les personnages secondaires de Dizzie (joué par Jaden Smith) dans The Cet Down et Lady V et ? dans Le Monde de Demain.

Mais avant tout dans le hip-hop, il y a musique. Revenons un instant sur les DJ. Si aujourd’hui ce sont les rappeurs qui mènent la danse. À l’époque ce sont les DJ qui font la loi. Le Hip-hop se crée entre les mains des disc-jockeys de l’époque. La profession de DJ naît à la radio en 1940 aux États-Unis mais se démocratise en Jamaïque dans les années 1950 avec l’arrivée et l’extension du vinyle dans la Caraïbes. C’est aussi en Jamaïque que le DJ devient le showman et remplace les artistes et groupes musicaux dans les Sounds System.

DJ Kool Herc

Le DJ Jamaïcain DJ Kool Herc de son vrai nom Clive Campbell émigre à New York en 1967 alors qu’il n’est encore qu’un adolescent. Il transporte avec lui l’organisation des Sound system à New York. Si au début Kool Herc diffuse principalement du reggae et d’autres musiques de son île natale, il va vite enrichir sa sélection de funk ou d’autres musiques appréciées de son public. Il importe également de la Jamaïque les interventions parlées sur les morceaux et le goût prononcé pour les basses. Kool Herc invente son propre style de chaque morceau il crée sa propre composition grâce à la technique du « double break. » Cette technique consiste à utiliser deux platines qui diffuse le même morceau en séquence successive ce qui permet de changer le tempo du son original. Les DJ américains Grandmaster Flash, et Afrikaa Bambaata s’inspirent de son style pour aller plus loin dans la création. Ils sont eux aussi considérés comme les fondateurs du mouvement hip-hop dans le Bronx des années 1970.

Grand Master Flash

Grandmaster Flash de son vrai nom Joseph Saddler est réputé comme le créateur de scratching. Il vient lui aussi de la Caraïbes. Il est originaire de la Barbade. Cest l »un des DJ les plus innovants en matière de sonorité. Son nom, lui vient de son habilité à manier les platines avec rapidité et dextérité. C’est l’un des DJ plus rapide. Il est à l’origine du premier morceau populaire de scratch The Adventures of the Wheels of Steel (1981). En 1970, il crée son propre groupe Grandmaster Flash and the Furious Five. Dans la série Grand Master flash est un DJ respecté qui règne en maître tout puissant dans le South Bronx. Shaoilin Fanstatic s’inspire de ces prouesses pour créer ses propres mix et beat.

Afrikaa Bambaata de son vrai nom Lance Taylor est un DJ américain. Dans la série il est le concurrent direct de Grandmaster Flash. Il est le fondateur de la Zulu Nation. La Zulu Nation c’est le symbole de la paix et de l’harmonie entre frères noirs. Afrikaa Bambaata membre du gang des blacks stades crée la confrérie de la Zulu Nation après avoir assisté à la mort de son meilleur ami. Il décide donc de ranger son arme et d’utiliser les platines. L’objectif de la Zulu Nation est de canaliser la violence qui ronge la communauté noire en énergie positive. Le mouvement culturel de la Zulu Nation réuni sous le même étendard le rap, les graffitis et la breakdance.

DJ Dee Nasty qui scratch sur sa platine. Scène tirée de la série.

Les préceptes de la Zulu nation s’invitent dans la série Le Monde de Demain et influencent les débuts du rap français. Si dans les faits la Zulu Nation débarque en France en 1986 lors de la tournée Européenne. C’est bien le DJ Dee Nasty qui devient leur champion et qui ancre leur concept en France au retour de son séjour à New York. La série Le Monde de Demain fait référence à ce voyage dès les premières minutes. Le slogan de la Zulu Nation « Peace Love Unity and having fun » résonne à l’épisode 3 lors de la Block Party organisée par Dee Nasty. Durant toute la série, Dee Nasty tentera d’insuffler cet esprit d’entraide et de paix dans le rap parisien des années 90.

Si dans la série française tout le monde semble partager une envie de voir le rap décoller. L’engouement autour du rap n’est pas forcément partagé par tout le monde. À l’époque le rap ne jouit pas d’une bonne réputation dans les médias comme le témoigne une carte publiée par France Soir en 1990 qui recense NTM en tant que gang.

Carte des gangs réalisée par France Soir en 1990 Slate

Regarde ta jeunesse dans les yeux

Dans ces deux séries le rap se raconte avec ceux qui l’écoutent. Elles mettent en lumière le fossé entre enfants et parents. Si pour les parents le rap est un genre anarchique sans véritable schéma artistique, pour leurs enfants c’est un genre qui leur apporte une certaine liberté. La liberté de dire, d’exprimer leurs craintes, leur peur et leur mécontentement vis-à-vis d’une société qui ne cherche pas à les comprendre véritablement. À travers le rap, on comprend qu’il cherche à se faire une place dans la société, à créer un endroit où les codes et les rites qui régissent leur vie sont respectés. Ce conflit perpétuel est représenté dans Le Monde de Demain par le conflit entre Bruno alias Kool-Shen et ses parents. Il veut faire du rap mais ses parents veulent faire de lui un banquier. Pourtant prometteur comme banquier, Bruno abandonne tout pour s’essayer à la musique avec son meilleur ami Didier. Les réticences de Bruno d’avoir un boulot stable sont nourries par l’expérience vécue de ses parents. Tout au long de la série, ces jeunes ados remettent en question le principe même du travail.

Assurément les deux retranscrivent pleinement le début de cette nouvelle ère musicale qu’est le rap. Les fans de rap retrouveront leurs stars, et les nouveaux venus se plongeront dans une atmosphère électrique.

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